C'est seule que je rentre à la maison, Néo devant aller retrouver quelques vieux camarades de l'Academy, séjournant dans les parages, pour la fin des vacances. Comme la plupart des samedis matin, depuis presque 5 mois, nous avons été voir notre psy. Nous suivons une thérapie de couple, pour éviter que la mort de Liam ne soit une tempête dévastant notre couple, après son passage. C'est moi qui ait suggéré que l'on aille consulter, sentant que l'on s'éloignait, sans même chercher à se retrouver. Cela fait 7 mois que Liam est mort, et autant de temps que nous n'avons pas partagé un agréable moment, rien que tous les deux, rien que pour nous, sans préserver les apparences, devant nos enfants ou notre entourage. J'ai peur pour notre couple. Et cette pensée me tord le ventre, alors que j'ouvre la porte de la maison.

J'entends un peu de chahut : les enfants sont visiblement en train de s'amuser avec Olivia. J'ignore ce que j'aurai fais, sans elle, ces derniers mois. Elle s'est occupé de Leeloo et Théo, sans broncher, répondant présente à chaque fois que nous avions besoin d'elle. Je vais déposer ma veste et mon sac dans ma chambre, au rez-de-chaussée, avant de grimper à l'étage, pour rejoindre les enfants. La scène que je vois dans la salle de jeux me fait esquisser un sourire, un franc, comme cela se fait rare depuis un moment : le trio a visiblement connu une petite séance de maquillage/déguisement, dans la matinée, plus ou moins réussi. Hilare, Théo est sur le dos d'Olivia, tâchant de la déconcentrer alors qu'ils jouent aux cartes.

Je me racle la gorge pour indiquer ma présence, et embrasser rapidement mes enfants. J'en profite pour proposer à Olivia si elle veut rester manger avec nous, au lieu de partir de suite. Demande faite aussi bien pour la remercier de sa présence ici que juste par envie de ne pas me retrouver seule (ou uniquement avec les petits), pour la journée. Je ne m'en sens pas le courage.... Je camoufle mon soulagement de la voir acquiescer, sous un sourire. De mon mieux, j'enfouis au fond de moi l'étonnement de voir que la présence de la brune parvient à m'apaiser, bien plus que celle de Néo.

Le repas se passe dans un joyeux bordel, les enfants étant bien décidés à profiter à fond de leurs derniers jours de vacances. A l'issue du repas, ils s'empressent de retourner jouer, nous laissant seule, Olivia et moi, après avoir sommairement débarrasser leurs couverts. Terminant de débarrasser la table, j'en profiter pour parler un peu à Olivia : « Alors, prête pour la rentrée ? ». Question basique, mais je lui ai déjà demandé si elle allait bien, ce matin, avant de partir avec Néo. Et puis, la rentrée approche à grands pas, pour les gosses, tout comme pour Olivia et moi-même. La fin d'année scolaire dernière fut assez difficile pour moi, j'espère démarrer celle-ci sous de meilleurs auspices !
 

Une invention dont je ne pourrais me passer : le lave-vaisselle. Un miracle pour une femme tel que moi qui n’aime guère les tâches ménagères, même si je m’y plie, car il le faut bien. Olivia répond à mon interrogation, faisant naître un sourire sur mes lèvres alors qu’elle avoue savoir que ça ne sera pas facile de me vouvoyer en classe. Mon sourire se fait plus grand tandis qu’elle se dit certaine d’évoluer en dessin, avec moi en enseignante. « C’est gentil. », soufflé-je à la suite de son mot gentil. Mon sourire s’estompe, à sa question, on ne peut plus légitime. « Je pense que ça me fera du bien : nouvelle année, nouvelles têtes. Nouveau démarrage ! ». J’en suis sûre, ça me sera bénéfique. J’adore cette maison, et mes enfants, mais ça m’est difficile de rester ici, plus longtemps que nécessaire. Ca me fait penser au drame… « D’ailleurs, je pense que je vais demander à ce qu’on me tutoie, cette année. Ca sera plus sympa. ». En plus, certains élèves ne sont guère plus jeunes que moi, et j’ai toujours du mal à me faire à ce vouvoiement, qui me donne l’impression d’être bien plus vieille que je ne le suis, et que je ne me sens l’être.

Une fois le lave-vaisselle rempli, je me tourne vers Olivia, pour lui demander : « Café ? Thé ? ». Pour ma part, ça sera un thé, même si j’aime le café. « Ca fera surtout du bien aux petits. ». Ils ont aimé leurs vacances, là n’est pas la question. Ils ont trouvé le temps long, par contre, et le fait d’être à la maison leur a rappelé le fait qu’ils étaient 3 autrefois, et qu’ils ne seront plus que 2, désormais. C’est bien pour cela qu’avec Néo, on s’est arrangé pour que les petits soient toujours occupés, et tenter de leur offrir d’agréables vacances en famille. Mais là, ils ont besoin de retrouver leurs copains de classe. Ce qui les éloignera surtout d’un couple parental à la dérive. Ils sont petits, certes, mais ils ne sont pas aveugles, ils se doutent bien que tout ne va pas pour le mieux, entre leur père et moi.

 

Je suis sans doute trop focalisée sur mes propres problèmes, en ce moment, pour voir qu’Olivia parait songeuse et soucieuse. « Ca fait donc 2 thés ! », déclaré-je, en mettant de l’eau dans la bouilloire, avant de mettre celle-ci en marche. La jeune femme me fait savoir qu’elle est présente pour moi, en cas de besoin, tandis que je sors les tasses. Touchée par ses propos, je lui adresse un franc sourire : « Je le sais bien. Merci beaucoup ! ». Après, j’ignore si je parviendrais à me confier à elle. J’ai confiance en elle, n’allez pas conclure n’importe quoi trop rapidement. Après tout, si je ne lui faisais pas confiance, je ne l’aurais pas engagé comme nounou pour mes enfants, tout de même ! Mais : « C’est… compliqué, en ce moment. J’arrive pas forcément à mettre de l’ordre dans mes idées. ». Et ce, en dépit du fait qu’avec Néo, nous consultions, ensemble, mais aussi séparément, pour tenter de faire notre deuil, de notre mieux, si tant est que cela soit possible ! « Alors, je sais même pas s’il existe une personne capable de m’aider, tu sais. ». Même sa sœur. Et pourtant, je lui parle. Comme avant, je lui confie tout. Mais se confier quand ses pensées sont embrouillées, c’est loin d’être facile, pour obtenir des conseils utiles. Je pousse un soupir, posant enfin les tasses sur la table, pour aller chercher ma boîte à thé, contenant tout un assortiment de thés en vrac. « On m’a dit qu’avec du temps, ça irait mieux… ». Au ton de ma voix, on peut facilement en déduire que je suis sceptique. Comment peut-on guérir de la mort d’un de ses enfants ? Pour le bien de Leeloo et Théo, chaque jour, je m’efforce de conserver le sourire, mais ça n’est pas toujours facile. Il existe des moments, comme celui en cours, où je me sépare de mon masque, trop dur à porter, pour apparaître au diapason de mon état d’esprit. Seule face à Olivia, je me sens assez en confiance pour faire une telle chose.

 

Les sourires sincères, je crains qu’Olivia ne doive attendre un moment avant de me voir en afficher régulièrement. Je ne réponds rien, m’occupant de sortir le thé. Je ne dis rien, en sentant la main d’Olivia se poser sur le bas de mon dos. Etant du genre tactile, je suis habituée à de tels contacts, même s’ils viennent rarement de la jeune femme. Néanmoins, Olivia, je la connais depuis longtemps. Et comme je l’ai dit : je suis habituée à avoir de tels gestes, envers mes proches, sans même y penser. Et peut-être que cela me plait, de la sentir aussi inquiète pour moi, mais que je n’ose me l’avouer, que je ne suis en mesure de le faire. « Merci. », dis-je en me retournant pour lui faire face. « J’apprécie ton soutien. Et ne t’inquiète, je sais tout cela. C’est pour ça que je vois un psy. ». Essayer de travailler sur soi-même, et sur sa douleur, est loin d’être un exercice facile. Cela étant dit, comme l’a souligné Olivia, dans ma situation, nul ne sera plus utile que moi, pour m’aider à aller mieux. Essayant de paraître la plus assurée et confiante possible, j’ajoute : « Dans quelques temps, je sourirais sincèrement, tu verras ! ». Comme pour souligner la « promesse » faite, je cligne des yeux. Me dirigeant vers la table, je pose le thé dessus. « Mais parlons d’autres choses. » Plus facile pour moi, même si ça peut paraître plus lâche : ne pas me focaliser en permanence sur ma situation m’aide à aller mieux, sans avoir à y penser tout le temps. « Niveau hébergement, au fait, tu vas faire comment, cette année ? », l’interrogé-je. J’ignore si elle a choisi de changement ou pas. C’est avec nostalgie que je me souviens que lorsque j’étais moi-même étudiante, j’ai été en colocation avec Néo, avant de finir en couple avec lui. Les coloc’ ne sont pas toujours faciles, mais parfois, on peut vivre de belles expériences. Parfois, je regrette l'époque où j'étais étudiante. Tout était tellement plus simple. Voici pourquoi je me permets d'ajouter : « Profite bien - autant que possible - des années qui te restent à vivre, en tant qu'étudiante ! » Car je sais que ça n'est pas toujours simple, surtout quand on doit bosser à côté, comme Olivia. Comme je l'ai fais également.

Connaissant Olivia depuis toujours, ou peu s'en faut, il est normal que je m'inquiète pour elle. Et je préfère largement essayer de voir où elle en est, niveau logement, que débattre des heures durant du drame qui m'accable depuis peu. Son problème de logement est quelque chose que l'on peut régler plus facilement que ma difficulté à tourner la page, n'est-ce pas ? A l'instar de la jeune femme, je prends place autour de la table, alors que je tends une oreille attentive à ce qu'elle me raconte. Cela ne m'étonne pas de l'entendre dire qu'elle va s'arranger pour loger non loin de la maison : ça lui ressemble bien. Tout comme ça lui ressemble de s'inquiéter de n'avoir rien trouvé pour l'heure. Je lâche un petit « Oh, c'est bien ça ! », lorsqu'elle évoque la possible colocation avec une jeune mère de famille, ayant un chien : ça sonne parfait pour Olivia, comme cadre ! Tendant la main pour la poser sur une des siennes, je lui dis un encourageant : « Tu trouveras. Une coloc' avec d'autres étudiants de Disney, c'est cool aussi ! », et je parle en connaissance de cause. « Et tu sais, au pire, tu peux loger ici, le temps de te trouver un truc ailleurs. », proposé-je en souriant. Après tout, on peut bien faire ça pour la dépanner, vu tout ce qu'elle fait pour la famille. A mes yeux, elle est l'une des nôtres, en un sens. « Ca t'évitera de devoir aller chez ta soeur : pas toujours facile la coloc' entre frangines. », bon, ça, je l'imagine, n'ayant qu'un frère. « Par contre, ça te fera vivre avec les loustique. », déclaré-je en désignant d'un signe de tête l'étage, duquel on entendait quelques échos de rire s'échapper. Ma main quitta enfin celle de la jeune femme, quand je pris conscience qu'elle s'y trouvait toujours. « Et aussi avec des profs. ». Même si elle n'a pas cours avec Néo, ça peut être assez problématique pour elle, si elle se focalise sur nos professions et le fait qu'elle soit étudiante. « C'est comme tu le sens. ». Un sourire amical étire mes lèvres, alors que je termine cette proposition - sincère. Cela fera plaisir aux enfants, d'avoir Olivia avec eux. Après, je crains que ça ne soit pas facile pour elle, de "séparer" ses moments en tant que nounou ici, et ceux où elle sera une simple résidente de la maison. « Pour ce qui est de réussir à rentrer à Disney, je ne me fais pas de doutes quant à tes chances d'y parvenir ! T'es vraiment douée, et tu sais te donner les moyens de réussir ! ». Et je ne dis pas ça pour lui faire plaisir, mais bel et bien parce que je le pense. Olivia fait partie des élèves que je trouve les plus prometteurs, parmi ceux que j'ai pu voir, et qui n'ont pas terminés leur formation. Elle est sérieuse et appliquée, il n'y a donc pas de raison qu'elle ne parvienne pas à atteindre son objectif ! « Et puis, si jamais t'as des doutes ou des questions, tu sais que tu peux compter sur moi ! ». Ne croyez pas que je fais du favoritisme quand il est question d'Olivia : dans la mesure de mon possible, je m'efforce de me montrer présente pour encadrer mes élèves, et leur distiller des petits conseils, s'ils en éprouvent le besoin. Il se trouve juste que, voyant Olivia régulièrement, cela m'est plus facile. Et Olivia n'est pas qu'une élève, pour moi, ne l'oubliez pas. Même si je ne sais pas totalement ce qu'elle représente à mes yeux.

Bien entendu, Olivia a raison, en disant que sa frangine voudrait sans cesse venir me voir, si elles vivaient ensemble. Et ça me fait sourire. Ca ne me dérangerait pas, moi, mais il est vrai que ça ne m’aiderait pas à travailler correctement ! J’adore l’aînée des Lowgins, ne vous méprenez pas, mais je sais surtout que ça me distrairait de trop de la voir souvent me rendre visite au boulot. Et ça pourrait ne pas l’aider, niveau pro’, elle aussi ! La proposition d’héberger Olivia coule de source, même si je ne l’ai pas faite jusqu’à maintenant. La raison est simple : je n’ai pas envie que ça lui complique la vie, sur le campus. Les gens pourraient croire que je la favorise, vu qu’elle vivrait chez moi. Déjà que certains le pensent, en découvrant qu’on se connaît depuis toujours, qu’elle est la petite sœur de ma plus proche amie, et qu’elle est la nounou de mes enfants ! « Ne t’inquiète pas : si je propose, c’est que ça ne posera pas de soucis ! ». De toute façon, il faut dire que Néo et moi, nous nous éloignons déjà, rien qu’avec nos enfants. Et l’intimité d’un couple, une fois que des enfants arrivent, devient toute relative. Cela dit, je peux comprendre les réticences de la brune qui me fait face. « Donc, si jamais tu ne trouves pas : n’hésite pas ! Notre porte te sera toujours ouverte ! ». Et je le pense sincèrement. Si on ne peut même plus se rendre service, alors qu’on se connaît depuis des années, on ne peut rendre service à personne !

Je nous sers enfin en thé : nous sommes assises là pour ça, après tout ! « Oublie pas de lâcher prise, de temps à autre ! Sans te montrer trop déraisonnable, mais pour apprendre à être moins stressée ! », conseillée-je en attrapant un sachet de thé, en l’ouvrant, et en le mettant à infuser dans ma tasse. Je me doute que c’est plus facile à dire qu’à faire, ce que je viens de conseiller à Olivia. J’ai eu des amies sujettes au stress, durant ma scolarité. Moi, ça allait, j’arrivais à ne pas trop angoisser. « Oh, au fait, le dernier week-end d’octobre, on va amener les enfants à Disney. ». Cet aveu se fait d’une voix plus basse, afin que les enfants ne m’entendent pas. Il s’agit là d’une surprise qu’on tient à leur faire, avec Néo, pour leur changer les idées ! « Si t’es libre à ce moment-là, ça serait bien que tu viennes ! » Ca pourra aussi changer les idées à Olivia. « Ta frangine sera de la partie ! », précisé-je, même si cela parait évident !